Et pendant ce temps, la fonte des glaciers s'accélère
LE MONDE | 10.12.11 |
Tout autour du globe, sous toutes les latitudes, à toutes les altitudes, les glaciers reculent et disparaissent à marche forcée. A une vitesse qui, bien souvent, excède des prévisions encore jugées alarmistes voilà quelques années. Alors que les négociations engagées à Durban (Afrique du Sud) s'enlisaient, les scientifiques réunis au congrès d'automne de l'American Geophysical Union (AGU), qui s'est achevé vendredi 9 décembre à San Francisco (Etats-Unis), prédisent un avenir toujours plus sombre à la cryosphère - c'est-à-dire l'ensemble des glaces de la planète.
La remise à jour de l'inventaire des glaciers alpins français est l'un des derniers signes en date de ce pessimisme. Ces nouvelles observations, rendues publiques au cours du congrès, sont les manifestations les plus spectaculaires, sous nos latitudes, du réchauffement en cours. En moins de quarante ans, les glaces alpines ont perdu plus d'un quart de leur superficie. Celle-ci est passée de 374 km2 au début des années 1970 à moins de 275 km2 aujourd'hui. En cause : l'augmentation des températures estivales et la fonte associée. Toujours plus importante, celle-ci n'est plus compensée par la recharge de l'hiver.
Le constat le plus inquiétant est celui de l'accélération du phénomène. La perte de glace a ainsi été environ deux fois plus importante entre 1986 et 2003 qu'entre 1970 et 1986. "De manière générale, on note depuis le début des années 1990 une accélération du phénomène sans précédent depuis au moins un siècle et demi", précise le glaciologue Antoine Rabatel (Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement), coauteur avec Marie Gardent (université de Savoie) de ce nouvel état des lieux.
Les disparités sont très marquées. Ainsi les glaciers du massif du Mont-Blanc n'ont perdu que 9,7 % de leur surface au cours les quarante dernières années quand ceux du massif d'Ubaye ont quasiment disparu. De même, à l'est de Grenoble, celui de Belledonne a vu la superficie de ses glaces perdre près de 70 %… Et encore, il ne s'agit là que d'une évaluation de la perte de surface. La perte de volume - pour l'heure impossible à évaluer pour l'ensemble des massifs - est vraisemblablement plus impressionnante encore.
Selon d'autres mesures, présentées par le glaciologue Etienne Berthier, chercheur au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (Legos) et rendues publiques au cours du congrès de l'AGU, la langue de la mer de Glace - l'un des plus importants glaciers alpins - a ainsi perdu en moyenne 4 m d'épaisseur par an entre 2000 et 2008. Elle n'en avait abandonné que 60 cm par an en moyenne entre 1979 et 1994…
Le cas des Alpes françaises n'est pas isolé. La tendance y est même moins marquée qu'ailleurs. "Globalement, on peut dire que le paysage est très homogène, explique Etienne Berthier. On perd de la glace partout et c'est un phénomène qui est en forte accélération." "Lorsqu'on regarde l'évolution des températures, on réussit toujours à trouver un intervalle de temps sur lequel on peut voir un bref refroidissement, ajoute le chercheur. Avec les glaciers, à l'exception de très rares zones d'anomalie, c'est impossible. Depuis dix à vingt ans, on perd toujours de la glace."
L'un des exemples les plus frappants est, pour le cas des glaciers d'altitude, celui des Andes tropicales. "Dans les quatre dernières décennies environ, ces glaciers ont globalement perdu de 30 % à 40 % de leur surface", dit M. Rabatel. Dans cette région, les répercussions socio-économiques de ce phénomène sont déjà sensibles : les débits des cours d'eau, pendant la saison sèche, commencent à fléchir. "Lorsque les glaciers diminuent, les débits commencent d'abord par augmenter, explique Michel Baraer (université McGill, Canada). Puis, lorsque leur taille atteint une valeur-seuil, les débits qu'ils alimentent en aval se mettent à diminuer et sont alors voués à se réduire, année après année."
Ce seuil, baptisé "peak water", marque le début d'un inexorable déclin des fleuves en aval. "Les glaciers de la cordillère Blanche (au Pérou) alimentent neuf bassins, précise M. Baraer. Sur ces neuf bassins, sept ont déjà franchi leur peak water." Les chercheurs estiment que, pendant la saison sèche, les glaciers contribuent aux fleuves pour environ un tiers de leur débit.
Les travaux menés par Michel Baraer et Jeffrey McKenzie dans la zone montrent que les impacts, déjà sensibles, ont toutes les chances de devenir explosifs dans la décennie à venir. Dans cette région du Pérou, les cours d'eau alimentés par les glaciers de la cordillère Blanche sont détournés pour alimenter un vaste complexe d'agriculture irriguée - le projet Chavimochic - installé dans une région gagnée sur le désert. "Des sommes très importantes ont été investies et sont toujours investies dans ce projet qui arrive pourtant à sa limite, dit M. Baraer. D'autant que des villes à la démographie galopante sont installées là, et leur approvisionnement en eau dépend aussi partiellement des glaciers."
La tendance est mondiale : ce qui est vrai sous les tropiques l'est aussi dans les zones polaires. "L'Arctique canadien semblait jusqu'à un passé récent relativement épargné par cette accélération constatée à l'échelle globale, dit M. Berthier. Mais sa perte de masse a désormais aussi tendance à accélérer." De fait, les dernières mesures, menées par l'équipe d'Alex Gardner (université de l'Alberta, Canada), indiquent que les glaciers de cette région ont perdu en moyenne 31 milliards de tonnes (Gt) de glace par an entre 2004 et 2006. Entre 2007 et 2009, ils en ont perdu 92 Gt par an en moyenne. Soit pas loin du triple de la période précédente…
Astronomiques pour le béotien, ces chiffres ne sont pourtant pas grand-chose au regard de la situation des grandes calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique. Les satellites jumeaux Grace, qui mesurent les variations du champ de gravitation, permettent de s'en faire une idée. "Les dernières estimations portent la perte de masse des glaciers du Groenland à environ 300 Gt par an, et à 200 Gt par an pour l'Antarctique, explique ainsi Eric Rignot (université de Californie à Irvine/Jet Propulsion Laboratory). Initialement, l'énormité de ces chiffres a provoqué un choc, mais ils sont désormais de plus en plus acceptés par la communauté scientifique : nous avons désormais neuf ans d'observations avec Grace et on ne peut plus ne pas voir le signal." Sur le Groenland, à peu près aucun doute ne subsiste sur l'accélération de sa perte de masse. Pour l'Antarctique, des observations moins alarmantes ont été présentées à San Francisco, et alimentent encore le débat scientifique.
Reste que, selon M. Rignot, "les observations dépassent ce que les modèles prévoient." "Si l'accélération actuelle continue, la seule perte de masse de l'ensemble des glaciers mondiaux fera monter le niveau de la mer de 80 cm d'ici à la fin du siècle, ajoute le chercheur. Ce qui, en comptant la dilatation thermique des océans, porterait cette élévation à plus d'un mètre."
Article de LeMonde.fr : http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/12/10/et-pendant-ce-temps-la-fonte-des-glaciers-s-accelere_1617030_3244.html
Alors toi, tu as de la chance que Jacques ne t'entende pas !
Les absents ont toujours tort…