Article de Libération.fr du 16/08/10
Ils ont décidés de vivre avec 100 objets…
Dans sa liste, on a pioché: un tee-shirt rouge, une planche de surf, une bouteille en plastique, une bible d'occasion, un téléphone portable avec chargeur, une alliance, des cartes de visite, un chapeau en laine (que sa femme trouve trop moche), une paire de Docs Martens achetée le 20 mai 2009… Au total, cent objets tout rond, pas un de plus sinon c'est triché.
Le gars qui a fait cette liste s'appelle Dave - son blog guynameddave. Il est né à San Diego aux Etats-Unis, et il y vit avec sa femme, ses trois filles et son chien Piper. Le 12 novembre 2008, il se lance un défi: vivre avec cent objets maximum pendant un an. Le «100 Thing Challenge» doit l'aider à se libérer de la société de consommation à l'américaine. «Beaucoup de gens ont le sentiment que leur penderie et leur garage débordent de choses qui ne rendent pas vraiment leur vie meilleure». D'où cette idée qu'il résume en trois verbes: «réduire, refuser, et redéfinir» ses priorités.
«Une forme de militantisme» A-t-on besoin d'avoir toujours plus pour être heureux ? L'interrogation n'est pas nouvelle, certains se la posent depuis belle lurette mais la crise aidant, elle revient en force. Et inspire ici et là des actes de rébellions. Ce challenge des 100 objets en est un, comme l'explique Sophie Dubuisson-Quellier, chercheur au CNRS et à Sciences Po. «C'est une forme de militantisme. Avec un but précis: Porter un message sur la place publique. Vivre avec 100 objets, cela tient presque du slogan. Ça parle aux gens tout de suite…»
Définir les objets prioritaires amène à des questions existentielles du genre: faut-il se limiter en livres ? En sous-vêtements ? Et que faire du canapé du salon? Dave a décidé d'exclure tout les «biens partagés» (lit, table de la salle à manger…) pour ne décompter que les objets strictement personnels. En s'accordant quelques libertés comme pouvoir changer un objet par un autre. Ou compter les caleçons dans un même groupe, comme un seul objet. Idem pour les chaussettes.
Un peu trop facile au goût de Colin, beau gosse baroudeur, qui raconte sur son blog, photos à l'appui, comment il a réussi à tomber à 72 puis 51 objets, pour être libre comme l'air et déménager à la vitesse de l'éclair. Dans son règlement, précise-t-il, les lunettes de vue et son étui ne font qu'un, le papier toilette et la nourriture ne comptent pas.
«Le désordre est une forme de procrastination» Plus pragmatique, le blog de RowdyKittens propose des conseils pratiques pour décrocher en douceur: «commencer petit, en donnant par exemple dix objets par semaine à une association caritative», «fuyez les galeries marchandes» et «les pubs à la télé» pour ne pas être tenté. Autre moyen de résister : se répéter chaque fois que nécessaire que «moins d'affaires simplifie le ménage» et que «le désordre est une forme de procrastination».
Sur sa liste, la blogueuse ne compte tout de même qu'un seul objet pour ses élastiques à cheveux. Elle affirme que «le challenge des 100 choses peut paraître arbitraire mais au fond, c'est un bon exercice. Il nous oblige à faire l'inventaire de tout ce qu'on a, nos buts dans la vie. Le plus gros défi est de décider ce qui compte et ce qui ne compte pas.»
Caracolent en tête des objets indispensables: l'ordinateur portable, le wi-fi, MP3 et autres disques durs. «Ce grand écart entre un mode de vie dépouillé et un usage avancé des nouvelles technologies peut sembler paradoxal, reconnaît Sophie Dubuisson-Quellier (1). Mais pour eux, cela ne l'est pas du tout: les militants anti-consuméristes ont des pratiques très développées en matière d'usage des nouvelles technologies. C'est en accord avec leur objectif que de faire passer un message le plus largement possible».
Pour la sociologue Anne Chaté (2), aussi, «mettre dans sa liste un ordinateur est tout à fait défendable. C'est comme pour un régime minceur. Il vaut mieux des habitudes alimentaires saines qu'un régime sévère qui débouche sur des frustrations et les des excès. Il vaut mieux une modération… modérée.»
Le 100 thing challenge n'est qu'un défi du genre. On en trouve à la pelle sur la toile, cheminant de blogs en blogs, de Facebook à Twitter, se revendiquant du courant de la «simplicité volontaire» bien ancré aux Etats-Unis…
Certains parviennent jusque dans les colonnes des journaux, indépendamment du nombre de personnes concernées d'ailleurs. Si le défi des 100 objets n'a pas trouvé d'écho, pour l'heure, en France, d'autres initiatives s'exportent bien: la journée mondiale sans achat («Buy not day»), ou le freegan, qui consiste à consommer le moins possible en récupérant les aliments encore consommables dans les poubelles des magasins.
«Il est important de distinguer ces formes de militantisme, pensées pour être médiatisées, des pratiques plus diffuses et éparses de ces consommateurs qui s'interrogent au coup par coup sur l'opportunité de tel ou tel achat et qui décident de modifier leurs comportements», conclut Sophie Dubuisson-Quellier.
http://www.liberation.fr/vous/0101652293-vivre-avec-100-objets-cap-ou-pas-cap